PHOTO : Yuri Taveres





L'HISTOIRE DE M. SUZUKI




Photographie  : Yuri Taveres


L'Histoire de M. Suzuki est une performance multimédiale pour un percussionniste, qui met en jeu les aspects musicaux et scénographiques, la bande sonore, le livret (au sens littéral : un carnet d'une quinzaine de pages distribué au public) et de brèves interactions avec le public.
Son sujet est inspiré d'une histoire vraie : celle d'un vieil homme, veuf, resté habiter chez lui après la catastrophe de Fukushima en 2011, que personne n'a pu forcer à partir d'une zone désormais totalement interdite, et qui a continué à mener sa vie sur place, seul avec son jardin et ses souvenirs.
L'histoire se révèle progressivement au public à travers les différents modes de transmission proposés, visuels, auditifs et écrits. Le public peut décider à quelle vitesse il découvre l'histoire : en fonction de ses choix, les éléments scéniques seront soit une proposition qui s'expliquera peu à peu, soit une illustration de ce qui vient d'être lu. Tout le jeu se trouve donc dans la manière dont chaque élément influence la réception de la performance, qui sera différente pour chaque auditeur-lecteur.

 

Aspects musicaux et scénographiques

L'instrumentation proposée est un mélange entre des instruments de percussion et des éléments extérieurs. L'ensemble constitue un dégradé, depuis les instruments classiques (métaux, bois), vers les textures (instruments frottés, papier, feuilles), puis les éléments (eau, radio, souffle) jusqu'à la bande enregistrée, qui combine extraits de radio, sons du jardin et instruments de percussion. Ce travail commun avec Zacarias Maia sur les textures se poursuit depuis 2020. Il doit beaucoup aux recherches des compositeurs qui nous ont précédé dans cette voie et avec qui nous avons pu étudier, notamment Hanna Hartmann, Thomas Meadowcroft et surtout Peter Ablinger.

À ce travail sur le son s'ajoute celui sur le geste : comme le montre le schéma ci-dessus, chaque mouvement musical implique un parcours visuel et génère donc une chorégraphie. Le jeu sur la répétition, ainsi que la possibilité de superposer les lignes musicales sur la bande, nous permet de créer un univers visuel auquel le public peut se raccrocher. L'attitude du percussionniste est donc bien celle d'un performeur : toute la première est jouée les yeux fermés, pour en renforcer le caractère méditatif. Ce travail visuel doit beaucoup à nos études avec Georges Aperghis, compositeur invité à Bâle en 2017, qui nous a ouvert les yeux sur l'importance de l'aspect visuel du geste musical.

L'histoire se révèle peu à peu, selon le choix de chaque auditeur-lecteur. À mesure qu'on la lit, ou qu'on l'écoute, la catastrophe se révèle dans sa dualité : à l'extérieur, la fin d'un monde avec le tsunami puis l'évacuation de 2011, mais à l'intérieur, une autre histoire se dévoile : celle d'un homme dont la vie s'est arrêtée avec la perte de sa femme en 2007.

Chacune à leur manière, toutes les sources nous proposent un lent effeuillage de cette histoire double : le livret raconte la rencontre d'un touriste européen avec ce vieil homme, et leurs conversations ; la bande cite des extraits de la période de mars 2011, du tsunami et de l'évacuation, mais aussi des monologues japonais qui sont traduits dans le livret ; et la musique-chorégraphie illustre la lente répétition de chaque journée de cet homme dans son jardin. Le Japon est donc présent à la fois dans l'imaginaire qu'en a l'occident (attitude méditative, répétition), pour la catastrophe de Fukushima, et dans la structure de cet effeuillage progressif, calquée sur celle du roman Un Artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro de 1986.

Pour résumer : la réflexion proposée porte sur le rapport entre un bouleversement à grande échelle et un drame à l'échelle d'une seule personne.

 

Synopsis
Dans la chambre
Le froid vif sous mon pied –
Le peigne de ma femme morte
Y. Buson (trad. Corinne Atlan, 2002)


Démarche – la poursuite d'une collaboration
Avec Zacarias Maia, nous travaillons ensemble depuis 2016 sur les certains aspects importants présents dans L'histoire de M. Suzuki : le travail sur les textures avait déjà commencé lors de la création de L'Irréelle Demeure, en 2019 ; de même, le jeu sur la bande reprenant les instruments était au centre de la création d'Ode Maritime en 2020. Riche de cette expérience commune, cette nouvelle création profitera d'autant de ces années passées à travailler ensemble.

Conclusion
Pour défendre au mieux la musique d'aujourd'hui, la question du format du concert est à mon avis au centre du jeu. L'idée de cette création est de proposer une grande liberté au public, entre moments d'écoute, d'observation, de lecture et de rêverie. Ce jeu avec les différents états, autrement dit, les différents manières dont le public est attentif, permet de présenter cette pièce à tous types de publics. Le caractère multidisciplinaire et ouvert invite à ne pas se laisser impressionner par l'idée d'un concert, mais au contraire, d'y faire son propre chemin, unique.


Interactions avec le public : une performance ouverte
La proposition de L'histoire de M. Suzuki est celle d'un solo de percussions ; pour équilibrer l'austérité du spectacle avec l'attention du public, plusieurs manières d'y entrer sont proposées, comme autant de clés de lecture. Le livret distribué commence par une explication sur les différents manières de s'en saisir : on peut soit le lire d'une traite, au début, soit se laisser guider par le spectacle pour le découvrir peu à peu, soit garder ses révélations pour la fin. L'idée étant ici que l'attention du public puisse se régénérer en faisant des aller-retours entre la scène et le livret.
Certaines pages du livret font écho à la construction du solo sur la scène : ainsi, on peut y découvrir la traduction d'un passage entendu à la radio, ou y lire le dialogue entre le vieil homme et le touriste alors qu'il se trouve dans son jardin ; dans l'autre sens, le soliste récite certains passages du livret dans la seconde moitié du spectacle. Enfin, les deux moments d'interaction avec le public préparés en amont créent la surprise, en venant perturber par deux fois le soliste :
1- un homme dont l'âge est au moins le double de celui du performeur traverse rapidement la scène de Jardin à Cour, en donnant un coup sur chaque cymbale, faisant tomber les feuilles mortes posées dessus.
2- deux enfants dont l'âge cumulé doit être inférieur à la moitié de l'âge du performeur viennent rapidement sur scène depuis le public, et récupèrent autant de feuilles mortes qu'ils peuvent, avant de retourner à leur place.





Musique Bertrand Gourdy

Avec
Zacarias Maia percussions





Création le 2 septembre 2023 à La Fonderie, Le Mans précédée d’un atelier d’écoute au cours d’une Fièvre du samedi matin.

Reprises le 12 février 2024 à Genève (lieu à définir), le 13 février 2024 à la kHaus (Bâle).